Les eaux souterraines sont la principale source d’eau potable en Wallonie. Les préserver de la pollution chimique diffuse est un défi pour nos sociétés du XXIème siècle. L’idée de notre projet est de disposer d’un indicateur qui soit le plus en amont possible d’une contamination des eaux. Quand les polluants sont dans les eaux souterraines, il est trop tard pour agir.
Mais dans l’environnement, les influences sont multiples. Tout mesurer est couteux, complexe et parfois impossible à interpréter. Comme les êtres vivants ont la capacité d’intégrer au fil de leur vie tous les événements qui affectent leur milieu, nous les utilisons comme des témoins de la qualité de l’environnement. C’est ça la biosurveillance ! Dans ce projet, nous avons cherché des sentinelles capables de nous donner une idée de la pollution de l’environnement par les pesticides. Les pesticides sont en effet source d’inquiétude : les compagnies productrices d’eau potable doivent parfois abandonner des captages trop pollués.
Pour notre étude, l’environnement de deux grands captages d’eaux souterraines a été étudié : les galeries du Néblon (Ouffet, Durbuy) et les galeries de Hesbaye (Donceel, Awans). Leur réalité est bien différente : les eaux du Néblon sont de très bonne qualité, contenant très peu de pesticides, tandis que celles de Hesbaye sont plus fortement touchées, tout en restant conformes aux normes. Nous cherchions des situations contrastées pour tester la robustesse de nos indicateurs. Il faut noter que les captages étudiés se trouvent en zone karstique, dans des calcaires bien fracturés : les connections entre l’eau de surface et l’eau souterraine sont nombreuses… et font courir des risques aux ressources.
Pour caractériser l’environnement de manière transversale, sans attendre que la pollution soit dans l’eau, nous avons proposé d’étudier tous les compartiments : air, sol, eau de surface.
Nous avons choisi d’utiliser les abeilles comme des capteurs de la pollution de l’air. Nous avons étudié quels pesticides étaient présents dans les ruches installées dans les deux sites d’études. Les vers de terre sont, eux, les témoins de ce qui se passe dans le sol. Nous les avons cherchés, dénombrés et déterminés dans plusieurs parcelles agricoles. L’étude de la végétation aquatique (plantes, mousses et algues, même microscopiques) permet d’observer quelles espèces disparaissent du cortège et à quels endroits des rivières. Nous utilisons également les espèces résistantes comme indicatrices de pollution.
Le projet a été le support de multiples communications, à destination des agriculteurs prioritairement, mais également à travers une balade audio-guidée tout public, des animations scolaires, l’installation de panneaux d’information à proximité des captages, des publications dans la presse et dans divers périodiques, des participations à des colloques et réunions techniques, des visites guidées sur le terrain et l’alimentation du site biosurveillance.be.
Ce que disent les bioindicateurs
Il y a plus de pesticides dans les ruches de Hesbaye, tant en nombre de molécules différentes qu’en concentration. Les pesticides échantillonnés par les abeilles reflètent l’environnement local de chaque rucher, selon les lieux butinés par les abeilles. La biosurveillance par l’abeille a montré sa capacité à jouer le rôle de capteur de pesticides présents dans l’air, assez sensible pour répondre aux niveaux de pression différents par les pesticides d’un site à l’autre.
Les vers de terre ne sont pas moins nombreux en Hesbaye, leur abondance est qualifiée de moyenne dans les 2 sites d’étude. Par contre, la biomasse est supérieure dans le bassin du Néblon par rapport à la Hesbaye. Les pratiques agricoles ne diffèrent pas d’un bassin à l’autre, dès lors, l’indicateur vers de terre appliqué aux cultures montre peu de différence d’un contexte à l’autre. C’est plutôt la proportion de parcelles cultivées et de parcelles couvertes de prairies et de forêts qui distingue les deux zones d’étude. Les vers de terre ont cependant un atout à jouer pour ouvrir aux questions de biodiversité et de carbone dans les sols, dont on sait également les interactions avec le piégeage et la dégradation de pesticides, sans parler du rôle en matière climatique.
La végétation aquatique est très révélatrice des niveaux d’eutrophisation, bien plus problématiques en Hesbaye que dans le Néblon où les problèmes d’eutrophisation sont ponctuels. L’analyse des diatomées (algues microscopiques) a permis de pointer les lieux dégradés par la présence de pesticides. Les groupements de diatomées résistantes aux pesticides sont présents dans 6 stations sur 29 dans le Néblon, et dans 4 stations sur 5 en Hesbaye.
Choisir de suivre un bioindicateur est une manière naturellement intégrée d’identifier les points forts et les points faibles de l’environnement qui produit l’eau exploitée. C’est un outil à partir duquel certaines actions concrètes peuvent être proposées. En fait, l’eau souterraine intègre aussi dans le temps et dans l’espace l’historique des pollutions de surface. Les bioindicateurs sont en outre d’excellents supports de communication.